Je me suis souvent imaginée
parler en avant. Ma voix qui résonne et qui fait écho. Je ne sais pas quel
temps il est, mais j’ai des frissons. Je tremble même. Les mots sortent, mais
ils cassent dans ma gorge. C’est tellement grand, je me sens toute petite en
avant, comme quand j’avais 8 ans.
Fais-toi s’en pas, papa. J’ai mis
du mascara « waterproof » et mon éternel rouge à lèvre longue tenue,
rouge. J’ai enfilé ma plus belle robe noire en ton honneur. Ce n’est pas comme
s’il y avait d’autres couleurs dans ma garde-robe hein? Je sais que ça, ça
t’aurait fait sourire. Tu m’aurais surement lancé aussi: Maudit que tu es
conne mon fils en riant. Pi niaiseusement, j’aurais été fière que tu m’aimes,
même quand je dis des conneries, même quand je suis conne. Parce que, s’il a
bien une chose dont je suis certaine dans la vie, c’est que tu m’aimes. Et ça,
je n’en ai jamais eu aucun doute.
Chu en avant, j’ai 8 ans.
J’aurais voulu que tout ça soit à ton image. Drôle, pétillant, vivant. Tsé, un
grand rassemblement où l’on pourrait t’entendre parler de tes histoires. Tsé,
les histoires que l’on a entendues mille et une fois, mais qu’on dirait que
parce que c’était toi qui les racontais, on ne pouvait pas s’en lasser.
Tsé Papa, On n’est jamais vraiment prêt pour ses choses-là. Mais « Ça
fait partie du deal. La vie, la mort. Qu’on le veuille ou non. »[i].
Puis depuis le diagnostic, on en a eu des discussions, on en a eu des
conversations sur ses deux sujets. Mais, l’être humain est un peu con parfois.
On oublie vite et on a toujours espoir que ces choses-là n’arrive pas.
Fais-toi s’en pas, papa. J’ai mis
du mascara « waterproof » et mon éternel rouge à lèvre longue tenue, rouge.
J’ai enfilé ma plus belle robe noire en ton honneur. Encore aujourd’hui, je reste
encore à me dire que ta maladie c’était un osti de beau cadeau mal emballé. Nos
veillées interminables et nos discussions sans aucun tabou seront probablement
dans les plus beaux souvenirs que je vais garder avec toi.
Lors de nos têtes-à-têtes, j’ai découvert
pleins de facettes de toi que je ne connaissais pas. Derrière ta grande
sensibilité et ta grande générosité, une belle vulnérabilité et une belle
résilience. Tu voulais vivre. Nous voir grandir. Nous étions ta plus grande
fierté. Parce que même si on essayait de te faire comprendre qu’on n’était déjà
pas mal rendu grandes et qu’on frôlais bientôt nos quarante ans, on était
toujours pour toi tes bébés. Tu voulais voir tes petits enfants découvrir la
vie. J’espère qu’ils auront le même souvenir que moi, de ton visage quand tu
les regardais.
Tsé papa, « mon héros des
héros »[ii],
toi sur qui je pouvais toujours compter. Toi que je voyais quand même plus fort
que tout. J’ai aussi aimé ça partager tes craintes. Pour une fois, c’est moi
qui devenait ta force. Moi qui essayais de réchauffer tes petites mains
froides. Moi qui te bordait en te disant : je suis là papa. Façon futile
pour essayer de dissiper ta peur. J’étais là pour vrai et je suis encore là.
Chu en avant, j’ai 8 ans.
J’aurais voulu que tout ça soit à ton image. Drôle, pétillant, vivant. Qu’est-ce
qu’il va me rester maintenant? De beaux souvenirs certainement, un numéro d’urgence
en moins ironiquement. Tu étais toujours là. Un matin où il a fallu que tu
viennes me sortir d’un appartement parce que je faisais une crise d’anxiété, un
matin où tu es venu me retrouver à l’urgence parce que j’avais perdu connaissance
pour aucune raison. Un Noël que tu t’étaismis beau et que tu m’avais pris en charge. J’étais supposée te souligner, mais j’étaisle pire déchet social que la terre avait pu inventer. Tu n’as jamais
accepté que je parle de moi ainsi. Merci pour ta présence, ta générosité d’être,
merci de m’aimer tel que je suis, tel que j’étais.
Fais-toi s’en pas, papa. J’ai mis
du mascara « waterproof » et mon éternel rouge à lèvre longue tenue,
rouge. J’ai enfilé ma plus belle robe noire en ton honneur. Depuis ton
diagnostic, j’ai la tête qui tourne. Tellement de questions, la vie, la mort
pourquoi? Ta maladie m’a fait réaliser que je n’accordais pas assez de temps à
ma famille, aux miens. Ça prend ça, c’est plate c’est comme ça. Tsé papa, je n’avais
jamais réalisé à quel point j’étais chanceuse de vous avoir, de t’avoir.
Chu en avant, j’ai 8 ans.
J’aurais voulu que tout ça soit à ton image. Drôle, pétillant, vivant. Aujourd’hui,
j’ose espérer que tu seras un bel arbre, pour faire respirer nos générations
futures. Un bel arbre fort, solide, mais aussi vulnérable et résilient. J’aimerais
ça aller le voir, le plus souvent possible et de faire un dendroglyphe dessus,
témoignage fragile mais précieux de la vie, marquer : t you? Pour me
rappeler tes messages textes, toutes les fois que j’avais une grosse journée au
travail et que j’avais oublié de t’appeler. Toutes les fois où je vais me
demander tu es où?
Je risque d’être un peu perdu
après tout ça. Je risque de me poser fucking trop de questions. Je risque de
trouver que payer pour des signets avec ta face dessus c’est con en crisse. Je
risque de me dire que tu es un osti de beau souvenir. Je me suis souvent
imaginée parler en avant. Ma voix qui résonne et qui fait écho. Je ne sais pas
quel temps il est, mais j’ai des frissons. Je tremble même. Les mots sortent,
mais ils cassent dans ma gorge. C’est tellement grand, je me sens toute petite
en avant, comme quand j’avais 8 ans. Fais-toi s’en pas, papa. J’ai mis du
mascara « waterproof » et mon éternel rouge à lèvre longue tenue,
rouge.
Tsé papa, « mon héros des
héros »[iii],
toi sur qui je pouvais toujours compter. Toi que je voyais quand même plus fort
que tout. Je repars en me disant que la vie c’est un voyage. On en a eu un
cristi de beau dernier. Je repars en me disant que la vie c’est aujourd’hui. Qu’il
faut profiter de chaque instant avec ceux que l’on aime comme si c’était le
dernier jour de notre vie. Je repars avec ton rire, tes jokes plates, ta
générosité, ton amour pour les autres en me disant que la pomme ne tombe pas
très loin de l’arbre. Je repars en m’assoyant à ma place comme une petite fille
de 8 ans, en te disant je t’aime. Que même si tu ne seras plus là de ton
vivant, la petite brise me rappellera ton passage et comment je t’aime. Ce soir
papa, je vais lever mon verre à ta santé et de ta force de vivre.
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